Quand l’hôtel se fait le cadre d’une expérience Retail inédite

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Concept store Trade de l’hôtel Public à New York © Public Hotels

Concept store Trade de l’hôtel Public à New York © Public Hotels

Le paysage hôtelier s’inscrit dans une nouvelle stratégie de développement et d’expansion pour les marques : si l’emplacement s’avère de premier choix, il peut alors faire écho à certains besoins, notamment en termes de trafic au quotidien.

Par essence, l’hôtel opère comme un vecteur de translation : le passage y est roi. Dans une époque où les grands magasins et les boutiques-destinations éprouvent des difficultés à maintenir des taux de fréquentation conséquents, le trafic serait une « drogue dure » pour les hôteliers. Il demeure la clef de voûte d’une réception ou d’un lobby animé et vivant, des différents espaces offerts.

Capter une audience de plus en plus large

Hospitality & Retail ont ceci en commun de former des espaces à vocation commerciale clos — entre leurs murs — avec une ouverture quasi-totale sur le monde extérieur.

La clientèle et les données qu’elle partage s’affichent comme un moyen détourné mais oh ! combien efficace de recueillir des informations et découvrir de nouveaux potentiels clients. Il s’agit d’une véritable mine d’un point de vue CRM : nationalités et lieux de résidence, groupes d’âge, centres d’intérêt et habitudes ainsi que tout un ensemble de données personnelles (environnements professionnel et familial…).

La boutique fait partie intégrante d’un hôtel puisqu’elle appartient à la catégorie des services proposés. L’achat peut s’y avérer purement pratique. D’une part, il permet de répondre à une demande lors d’un oubli voyageur. Et d’autre part, la procédure de check-out est simplifiée : rajout sur la note finale, livraison en chambre et shopping en ligne. Lorsqu’un nouvel hôte se connecte au wifi d’un établissement du groupe new-yorkais the Standard — dont la première ouverture hors US, dans le quartier londonien de Saint Pancras, est attendue pour cette année — , il est automatiquement dirigé vers leur site e-commerce. L’hôtel Public à New York a également développé son concept store ‘Trade’, une sélection de produits cool, à l’instar de livres, d’objets de décoration, de bijoux, d’accessoires et de marques pointues de mode et de beauté, réunis dans un magasin à l’entrée de l’hôtel. Plus d’excuse pour le business-trotter de ne plus rapporter un souvenir de voyage…

De par sa capacité à capturer une audience aussi large que les visiteurs internationaux et clients locaux, l’hôtel est un emplacement stratégique pour les DNVB[1] dont la popularité et la visibilité croissante sur Internet les poussent à ouvrir des points de vente physiques. Par exemple, la marque de bagages new-yorkaise Away est partie à la conquête de l’Europe en installant des pop-ups dans des hôtels comme l’Amastan à Paris (été 2018). L’année précédente, le Mandarin Oriental de la capitale avait ouvert ses portes à Vestiaire Collective pour une exposition temporaire de pièces vintage en vente le temps des fêtes de fin d’année.

Le pop-up Away dans l’hôtel parisien l’Amastan © Away

Le pop-up Away dans l’hôtel parisien l’Amastan © Away

Enfin, il conviendrait de souligner que le nom même de boutique-hôtel tend à confirmer les liens étroits que les deux industries entretiennent. Le système est gagnant-gagnant : les deux univers se nourrissent mutuellement.

Faire appel aux émotions et aux sens

Hospitality & Retail mobilisent les émotions de chacun : ils existent et se définissent avant tout par les rapports que l’homme entretient avec son espace. Aussi font-ils d’abord appel aux instincts, sentiments intimes et profonds de l’être humain.

La scène de la Food y occupe une place toute particulière puisque historique : elle s’inscrit dans le fonctionnement même d’un établissement avec restaurant attenant — le concept quelque peu galvaudé d’hôtel-restaurant.

Aujourd’hui véritable outil de rayonnement commercial, la restauration élargie correspond à un moyen unique de connaître et faire connaître. Les palaces parisiens en forment sans doute l’incarnation ultime. Les chefs et pâtissiers Maison sont devenus des personnalités ; certains ouvrent leurs propres points de vente à résidence. C’est le cas notamment de Cédric Grolet dont la première pâtisserie a vu le jour en 2018 au sein de l’établissement qui l’emploie : le Meurice. D’autres s’aventurent en dehors de leurs murs feutrés : Christophe Michalak a quitté le Plaza Athénée en 2016 et Michalak Paris compte désormais quatre points de vente parisiens et un dans le quartier huppé et tendance de Omotesando à Tokyo. Les chefs français exportent concepts, franchises et réussite à l’étranger : Alain Ducasse et ses trois macarons Michelin au Dorchester ; le groupe Intercontinental a fait également confiance au chef gascon et a choisi son concept autour du poisson Rech pour leur flagship de Hong Kong. Ils ont fait appel à Pierre Gagnaire pour celui de Tokyo. Le Salon de Thé de Joël Robuchon est quant à lui présent dans ces deux villes asiatiques.

Les créations pâtissières de Cédric Grolet pour le Meurice © Dorchester Collection

Les créations pâtissières de Cédric Grolet pour le Meurice © Dorchester Collection

La Beauté s’est imposée comme un autre point d’entrée majeur avec le développement des spas griffés dans des adresses de prestige. Le premier spa par Chanel fut le point d’orgue de la réouverture du Ritz Health Club à Paris après les travaux pharaoniques du palace. De surcroît, la signature olfactive d’un lieu appelle à l’imaginaire de chacun : elle met en lumière une ambiance et un talent. Ainsi un parfumeur, une marque peuvent-ils se faire connaître : Buly fut le choix de Rosewood pour le nouvel hôtel de Crillon — y compris pour les amenities en chambre — ou Blaise Maupin, le nez derrière le parfum-signature du Park Hyatt Paris Vendôme, a depuis développé une ligne de bougies parfumées.

La logique inverse se met donc à l’œuvre, comme en atteste le lancement par le très exclusif groupe Aman d’une gamme de soins complète inspirée par leurs rituels bien-être dispensés dans leurs resorts : the Holistic Wellness Centre de l’Amanpuri de Phuket, the Aman Spa at The Connaught et Tokyo pour ne citer que les principaux.

Wellness & Spa à l’Aman de Tokyo © Aman

Wellness & Spa à l’Aman de Tokyo © Aman

Fondés sur nos sens-frères jumeaux que sont le goût et l’odorat, les sphères de la gastronomie, de la relaxation et du bien-être règnent en maîtres. Mais les domaines d’expertise s’étendent et les frontières entre Retail et Hospitality sont de plus en plus floues ; elles semblent presque s’effacer. Bien d’autres secteurs sont désormais mobilisés. Il conviendrait par exemple de ne pas oublier la Culture et la Maison.

Les éditions Assouline qui multiplient les espaces temporaires auprès de retailers issus de la mode ont acquis une présence forte dans des hôtels dont la renommée n’est plus à faire. En effet, l’éditeur de livres et objets précieux compte des points de vente permanents dans le Bauer Palazzo de Venise ou le Mark ainsi que le Plaza de New York. En Asie, les voyageurs pourront apprécier dès le mois prochain l’expérience de l’enseigne de décoration Muji dans le quartier de Ginza à Tokyo.

Encourager le dialogue et l’inspiration

Le Retail revêt différentes formes : déguisé, timide ou soutenu — toujours inspiré par son environnement. Nonchalamment disposé dans le dressing de la suite, un trench Burberry est mis à la disposition de chaque client du Mandarin Oriental at the Landmark de Hong Kong. Son utilité en cas d’averse soudaine ne saurait être remise en question, il n’en demeure pas moins un objet incroyable pour faire naître désirs et envies, comme une invitation à visiter la ou les boutiques situées dans le mall éponyme à la base.

De surcroît, l’association entre chaînes hôtelières de prestige et ouverture de nouveaux malls s’impose comme une tendance remarquable : en attestent le Park Hyatt de Bangkok, une adresse de référence au cœur du mall de Central Embassy, ou le lancement en juin prochain du premier hôtel Equinox par la chaîne de gym du même nom au sein du nouveau programme de développement immobilier de Hudson Yards à New York.

D’autres établissements font le choix d’un commerce plus affiché, mais saisonnier. Sa fonction première s’accorde parfaitement avec l’une des grandes particularités de l’activité hôtelière à savoir : des besoins liés aux pics de saisonnalité. Quoi de plus idéal qu’un magasin éphémère comme le pop-up d’été ‘Rooms & Gardens’ de l’hôtel Casa del Mar de Santa Monica en Californie ? Un autre moment choisi en raison de l’intensité du trafic demeure les Fashion weeks. Zadig&Voltaire était l’invité du très couru 11 Howard lors de la dernière FW de New York, où les pièces fétiches du créateur pouvaient être personnalisées dans la bibliothèque de ce boutique-hôtel de Soho.

La richesse de la scène commerciale se déploie sous toutes ses formes et canaux : boutiques éphémères, lancements et vente en ligne, partenariats exclusifs. Un mouvement inverse s’est parallèlement mis à l’œuvre : l’hôtel devient une marque en soi. Exit la boutique et galerie marchande classiques voire démodées avec des produits griffés plus ou moins désirables. Dans un article de 2015 paru dans le Monde, il est fait mention que l’hôtel tient désormais boutique.

Des rénovations maîtrisées accompagnent un développement multiple, des collaborations inédites naissent dans les derniers temples du cool urbain ou balnéaire. Le groupe Il Pellicano est passé maître en matière de collaborations hype : l’été prochain sera proposée une collection unique de Birkenstock x Il Pellicano, sans oublier leurs sacs en toile et tee-shirts logo dessinés et produits par A.P.C.

Charme rétro des produits griffés Il Pellicano © Il Pellicano

Charme rétro des produits griffés Il Pellicano © Il Pellicano

De la même façon, le collectif The Line a développé une ligne capsule pour The Mark Hotel de New York (relayée par le Elle France en janvier 2019). La création semble désormais du côté des hôteliers ; elle n’hésite plus à les soutenir : Gucci n’a-t-il pas mis le Château Marmont à l’honneur de sa dernière collection Croisière ?

Jacques Guyot pour Retail Factory

Partez à la découverte des boutiques, concepts et hôtels sélectionnés par Retail Factory lors de nos Retail Tours à Paris et à New York. Pour en savoir plus : hello@retailfactory.fr

[1] DNVB ou Digitally Native Vertical Brands fait référence aux marques nées en ligne, très proche de leurs clients et dont l’activité est majoritairement concentrée autour d’un produit ou d’un segment précis.

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