Retail post crise : les frontières entre physique et digital s’atténuent

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Crédit photo : Credo

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Le printemps fut particulièrement difficile. Pourtant il semblerait pertinent d’aborder la crise du Covid et le processus du déconfinement sous un angle positif, à la lumière des leçons voire des bienfaits et innovations qui accompagnent la réouverture progressive de nos économies.

Alors comment cette crise a t-elle modifié le retail et nos habitudes de consommation ?

Des besoins émotionnels toujours aussi forts

(R)ouvrir dans le contexte actuel, avec des normes sanitaires plus ou moins strictes, soulève la délicate question de la rencontre entre besoins physiques et émotionnels : les contraintes agissent-elles comme un frein sur nos émotions ?

L’élément fun se doit d’être au cœur de l’expérience client, qui se définit avant tout par des interactions physiques. Si ces émotions naissent en point de vent physique, l’ambition est désormais de les faire perdurer et de recréer ces moments en ligne. L’exemple-phare du confinement demeure l’explosion du DIY, à savoir la possibilité d’essayer un nouveau style, de bénéficier de conseils et ainsi faire ses propres soins à domicile. La marque de coloration Madison Reed s’est complètement réinventée au cours de la crise au moyen de « online parties » et autres tutoriaux couleurs sur Zoom.

L’appel à l’imaginaire s’inscrit également dans cette mouvance. Les défilés Haute Couture ont exploré des formes visuelles sous le prisme de véritables pépites cinématographiques : des maisons comme Dior ou Schiaparelli ont signé des courts-métrages audacieux entre poésie et surréalisme. Dior toujours, où les plus importantes clientes de la Maison ont eu droit à leur part du rêve : une matérialisation physique de la collection du défilé avec l’envoi à leur domicile d’un coffret de poupées de collection habillées des modèles Haute Couture miniatures de la griffe parisienne. Mettant en avant au passage le côté éco-responsable de cette acte… car s’il y a bien une chose à retenir de cette crise c’est que le monde ne peut plus tourner à la même vitesse qu’avant.

Credit photo : Reuters

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Véritable invitation à se replonger dans l’univers de l’enfance, la magie opère et libère, dans un esprit quelque peu régressif, idéal en temps de crise pour oublier un quotidien difficile…

D’ailleurs, évènements et expériences en ligne se sont multipliés. Leur diffusion a connu des formes variées : abonnements gratuits, initiation à la cuisine, expositions virtuelles, jeux vidéo,… Quel est le point commun entre le concert d’Angèle live sur IG offert par Chanel et les cours de cuisine ou de yoga proposés par les chaînes IGTV des hôtels pendant le confinement, si ce n’est de divertir et de cultiver une bulle sur le monde extérieur ?

Des nouvelles prises de parole digitales

Bien souvent, l’activité en ligne n’est pas en prise directe avec l’univers de marque et c’est dans cet ancrage, plus en profondeur, qu’elle tire toute sa force. Cette dimension plutôt inédite permet d’animer, de créer voire de faire vivre une communauté, que la relation soit réelle, comme dans le cadre classique de la prise de contact en boutique, ou virtuelle, sur le site de la marque, les réseaux sociaux.

Il ne s’agit plus nécessairement de vendre un produit ni même d’offrir quelque chose directement en lien avec un domaine d’expertise bien précis : proposer un contenu utile et qui saura retentir au sein de cette communauté. L’interaction virtuelle encourage la loyauté puisque le consommateur est un acteur essentiel dans cet échange. Selon une étude conjointe menée par Burberry et Matches Fashion, le ton auquel la marque s’adresse aux clients potentiels a changé : les jeunes consommateurs ne souhaitent plus juste acheter un produit, mais ils ressentent le besoin de faire partie d’une activité qui valorise leurs aptitudes à utiliser les réseaux et diffuser du contenu auprès de leurs followers…

La prise de parole change, la ligne éditoriale est au digital. Par exemple,la marque de cosmétiques clean Seasonly a offert pendant le confinement une newsletter quotidienne “la Seasonlist” pour parler de tout sauf de ses produits.

Comme lors du précédent choc financier, l’univers de la beauté est en avance, sans doute parce qu’il a subi les effets de la crise sanitaire avant les fermetures. Il offre une variété d’espaces d’expression mixtes, où le recours au digital est combiné à une explosion du DIY, autant de sources de créativité et d’interactions chères aux différentes communautés. Inspirée par le boom technologique de l’industrie Wellness avec les applications de fitness tracker et les miroirs intelligents, la Beauté 2.0 a placé la barre très haut au regard des initiatives suivantes :

Hi Mirror propose une solution — un miroir — capable d’analyser les évolutions et besoins de votre peau au moyen d’un suivi précis de l’efficacité des produits de soin utilisés. Les marques de Mass Beauty comme La Roche-Posay ou de Prestige telles que Estée Lauder ou Shiseido proposent des diagnostics de peau à domicile. Ukonwa Ojo, senior vice president chez MAC Cosmetics, déclare qu’ils ont assisté à une “tech-célération” pendant le confinement, que les avancées technologiques, nottament au niveau de la réalité augmentée ont joué un rôle dans cette percée.

Vers un retail plus intelligent

Le retail malmené par le Covid a favorisé un canal de préférence à savoir : le digital.

Des outils technologiques mis au service d’un retail performant ont permis de mettre en lumière une offre réduite en magasin et d’obtenir des informations-produits clés. Le suivi des collections et des achats clients au moyen des applications facilite grandement le parcours omnicanal du client, la récente annonce du groupe Inditex, propriétaire de Zara le montre bien : le géant espagnol va investir 2,7 milliards d’Euros dans le digital ces prochaines années afin de faciliter la recherche d’articles par ses clients.

Une autre initiative majeure accélérée par cette crise est la prise de rendez-vous en boutique. Personnelle ou virtuelle, les options se sont multipliées. Les department stores américains, Saks en tête, n’ont pas hésité à ouvrir leurs magasins en dehors des heures d’ouverture pour offrir à leurs VIC (Very Important Customers) une expérience shopping en toute sérénité. Des prestations virtuelles appelées “clean swaps” au sein du concept new-yorkais de beauté verte Credo ont combiné personnalisation et sécurité en boutique. La cliente se démaquillait par caméra et se voyait proposer un ensemble de produits pour faire peau neuve/propre.

Les applications des marques aident également à une diffusion plus grande des services proposés. A titre d’exemple récent, les fonctionnalités et contenus de la Nike App sont particulièrement exploités dans leurs flagships Houses of Innovation à travers le monde (à voir sur les Champs-Elysées). En plus des informations sur les articles en magasin, les visiteurs de la boutique parisienne peuvent essayer puis régler instantanément leurs achats dans l’application minimisant l’attente en caisse et le nombre de contacts directs.

Credit photo : Nike

Credit photo : Nike

Le choix des données influence grandement l’expérience retail mobile. Le shopping “mobile” se déploie activement, notamment sur WhatsApp dans des pays comme l’Inde ou le Brésil. Il se perfectionne sur d’autres réseaux comme WeChat où la marque Céline a lancé en juin dernier son mini-programme e-commerce avec un kit de solutions omnicanales pour ses clients en Chine.

Les frontières entre online et retail shopping s’estompent, elles sont de moins en moins définies… Outre les bienfaits mentionnés — informations produits et paiements mobiles — l’acheminement ainsi que la réception des articles en ressortent facilités.

Le boom du social selling

Le rapport à l’expérience évolue et acquiert une dimension nouvelle, en particulier dans un environnement sans contact. Flâner n’est plus trop dans l’air du temps, le client est aujourd’hui rapidement pris en charge. Il est aussi plus informé. Si la vente d’antan pourrait être remise au gout du jour, la relation client-vendeur se modifie en profondeur.

Besoin de minimiser vos interactions avec le personnel de vente ? La solution live shopping contactless du concept new yorkais hybride Showfields agit à la manière d’un assistant virtuel. Un seul clic sur une vidéo donne accès aux différents modes d’utilisation et bénéfices produits, avec en plus un lien final vers l’achat.

Crédit photo : Showfields

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Dans un premier temps et au cœur de la crise, les retailers ont mis en place des consultations non physiques, notamment dans la beauté avec les trois initiatives de conversation suivantes : les consultations par téléphone chez Clarinsles rendez-vous virtuels de Bobbi Brown et les diagnostics de peau Biologique Recherche en format questions-réponses sur stories IG. Un moyen intéressant de maintenir le lien entre clients et vendeurs, et de mettre à profit les temps disponibles de ces derniers…

Fonctionnalités produits et amusement se sont entremêlés ; un moment est né, celui où il est possible de présenter et essayer en même temps que la cliente. L’habilité du conseiller à se transformer et interagir comme un ambassadeur beauté virtuel est clef puisqu’elle ne sert pas uniquement à promouvoir produits et techniques. Elle recrée l’illusion d’un essai, d’une application en magasin. Tester virtuellement teintes et textures est un enjeu de taille pour les géants cosmétiques : L’Oréal a développé depuis quelques années déjà un outil d’utilisation pour plus de cent références virtuelles de fonds de teint et rouges à lèvres, et qui fait de plus en plus sens aujourd’hui. Chez Estée Lauder, l’expérience se poursuit en boutique : il est désormais possible d’essayer différentes teintes et pigments sur un écran iPad avec un rendu assez fidèle et sans danger. Le groupe est même encore allé plus loin, avec ses campagnes d’échantillonnage aux US : la marque Clinique a distribué et expédié à l’échelle nationale des échantillons de son dernier fond de teint en donnant à ses clients un rendez-vous pour apprendre à l’appliquer. La session live était fixée sur différents créneaux en fonction du fuseau horaire de la zone, et un maquilleur-star montrait en direct comment appliquer et utiliser la dernière innovation produit. De quoi tenter les clients à l’achat après ça…

Quant aux Galeries Lafayette, elles se sont invitées chez leurs clients ! Après avoir rempli le formulaire « Liste des Envies », un personal shopper vous accompagne et conseille par caméra. Les pièces défilent tout au long d’un processus de vente en ligne dynamique : services digitaux et physiques se complètent et rendent le magasin de Haussmann accessible au plus grand nombre. Le click & collect est disponible le jour même, la livraison le lendemain.

Avec un conseiller de vente virtuel, l’expérience bien que modifiée n’en reste pas moins immersive. Les outils d’éducation en ligne, les fameux tutoriaux de marque, apparaissent comme un élément clef pour assurer la fluidité du trafic entre offline et online…

Toutes ces initiatives sont sans mentionner le boom du livestream shopping en Chine, soit des sessions live de présentation produits — sorte de télé-achat 2.0 — et animées par des influenceurs qui ont sauvé le chiffre d’affaires de nombreuses marques pendant le confinement… voire grandir car ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter !

Si cette crise nous a appris quelque chose c’est que la crétaivité n’a pas de limites. On a vu pendant le confinement de nombreuses marques, même petites redoubler d’ingéniosité pour faire perdurer leur business, mais aussi encore plus important, le lien avec leurs consommateurs… Le temps est à la générosité, avec le maintien du télétravail, les consommateurs ont moins de contraintes et plus de temps pour tester et interagir avec les marques, c’est le moment !


Article rédigé par Jacques Guyot, expert Retail de l’agence Retail Factory.

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