Perspectives 2021–2025 : vers un retail plus responsable et solidaire

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crédit photo : Veja

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L’impact galopant des industries ultra-consommatrices de la mode et du luxe sur l’environnement n’est plus à prouver. La mouvance ‘green’ s’empare progressivement de la scène commerciale et la réouverture progressive des économies s’accompagne d’une véritable prise de conscience : Démarche verte et comportements éco-responsables prennent le pas.

La nouvelle empreinte architecturale : entre digital et intelligence verte

L’investissement dans l’architecture durable exercerait un triple impact positif sur la planète, les personnes et les profits : des matériaux issus de circuit court, l’utilisation d’ampoules à basse consommation, sans oublier l’absence du recours au plastique pour tout emballage.

Le dernier flagship londonien de Stella McCartney s’impose comme un exemple de magasin « durable » : mousses recyclées, matériaux cartons entièrement réalisés à partir de déchets papier. Le projet s’étend au VM (‘Visual Merchandising’) avec les premiers exemples de mannequins biodégradables, en plastique bio fait à partir de canne à sucre. Pour lutter contre la pollution de l’air, un système de ventilation dissimulé aide à la réduction de 95% des polluants et gaz à effet de serre.

Néanmoins, les locaux commerciaux ne sauraient être les seuls concernés. Le nouveau siège parisien de Pernod Ricard, imaginé par l’agence de design Saguez & Partners, et baptisé ‘The Island’ (en référence aux îles Paul Ricard situées au large de Toulon), offre sur le site du quartier de Saint-Lazare un bâtiment-modèle de ‘smart building’ certifié Haute Qualité Environnementale. Barder un immeuble de capteurs et de hot-spots wifi ne suffit pas à le rendre intelligent. Sans une interface de communication digitale adaptée à chaque usager, les performances écologiques du numérique restent limitées. La raison d’être du smart building réside dans sa capacité à offrir aux utilisateurs une expérience unique et surtout optimisée : donner la bonne application à la bonne personne, au bon moment et sans gaspi. Des solutions architecturales plus intuitives et responsables viennent maximiser la rencontre entre besoins physiques, consommations moindres et expériences (par les usagers).

Le nouveau siège de Pernod Ricard à Paris — crédit photo : Saguez & Partners

Le nouveau siège de Pernod Ricard à Paris — crédit photo : Saguez & Partners

Le nouveau siège de Pernod Ricard à Paris — crédit photo : Saguez & Partners

Le nouveau siège de Pernod Ricard à Paris — crédit photo : Saguez & Partners

Une prise de conscience collective

Les infrastructures liées au retail sont les plus gourmandes en énergie du continent européen ainsi que pour la catégorie immobilier non résidentiel (source, Schneider Electric). L’électricité, la climatisation et l’éclairage expliquent en grande partie ce résultat ; l’impact carbone du secteur construction demeure particulièrement élevé.

Le regain vert observé ne s’explique pas uniquement par le seul objectif des poursuites de réductions carbone : un bilan moindre pourrait aider les retailers à faire des économies conséquentes. À titre d’exemple, si ces derniers réduisent leurs dépenses en énergie de 20%, le gain ainsi realisé équivaudrait à une hausse de 5% de leurs ventes globales (source, Carbon Trust).

À cet égard, les cafés de la chaîne Starbucks ont opéré un changement de position avec l’amplification du programme éco-certifié LEED ‘leadership in energy and environmental design’ fin 2018. Le concept estampillé vert utilise exclusivement un éclairage LED, des carreaux recyclés au sol et des éléments composites en bois approuvés par l’organisme ‘the Forest Stewardship Council’. Leur force d’exécution réside dans la visibilité quasi-immédiate des résultats obtenus avec 25% d’économies en électricité et 30% de consommation d’eau en moins. La barre des 10 000 emplacements équipés devrait être atteinte pour 2025, ce qui chiffre la réduction des coûts d’utilité autour de 50 millions de US dollars.

Starbucks Reserve Shanghaï est un exemple de magasin certifié LEED — crédit photo : Starbucks

Starbucks Reserve Shanghaï est un exemple de magasin certifié LEED — crédit photo : Starbucks

Le paradigme vert

Si l’initiative verte s’invite au cœur des concepts, le mouvement ne se limite pas aux initiatives environnementales. Une relation différente à l’environnement redessine les contours des espaces physiques et la crise sanitaire n’y serait pas totalement étrangère. Les changements évoqués — redéploiement vert en tête — s’observent également au sein du foyer. L’impact sur le secteur de la Maison devrait être important avec la reconfiguration des intérieurs sous le prisme de besoins différents en termes de bureau, entrée, salle de bains, espaces verts micros…

Le géant du mobilier Ikea part de ce même constat notamment après avoir tiré profit du maintien des pratiques de télétravail dans les pays anglo-saxons. Membre émérite du groupe suédois, Abrahamssong Ring partage cette vision sur Reuters :

“The full-year sales were higher than he had feared at the height of the crisis, and predicted a return to growth in the current year. We feel very strongly that this interest in your home, how you live at home and create an even better home, is here to stay.’’

De surcroît, leurs ventes E-commerce en 2020 ont bondi de 45% pour représenter 15% du total des ventes retail : le digital, ami et avocat de l’environnement ? Indéniablement, le monde sera au vert pour 2021 :

“The first is sustainable development, with its impact on society and the environment. A trend that has picked up speed thanks to the web and social media, with consumers setting new ethical, societal and environmental constraints for labels.” [CNBC, Septembre 2020]

Sa mise en œuvre, voire sa réussite, dépendent cependant de la diffusion de nouvelles mentalités et pratiques : attitudes de consommation et préférences d’achat renouvelées pour des façons de consommer alternatives. La connaissance et le « mieux consommer » doivent s’imposer au cœur des modes et styles de vie — origine et traçabilité, matériaux verts, produits locaux…

Le mieux consommer : tracer et retracer

La chaîne de magasins américaine Ulta Beauty s’illustre par son discours encore plus poussé sur la transparence et son engagement en faveur d’une beauté plus consciente — les marques de cosmétiques distribuées, y compris les capillaires et les soins corps, doivent respecter les quatre critères suivants : ingrédients propres/ sans cruauté et véganes/ aucun impact négatif sur l’environnement/ emballage 100% recyclable.

Crédit Photo: US fashion network

Crédit Photo: US fashion network

Même le luxe s’y convertit. Outre un duvet certifié dont la traçabilité est connue depuis 2015, Moncler souhaite entériner cette démarche au moyen des initiatives suivantes : des sites de production neutres en émission carbone d’ici 2021 et un duvet entièrement recyclé, autour d’un processus qui devrait nécessiter 70% de ressources en eau en moins. Un plan durable a été annoncé pour 2023 : 80% des déchets issus du nylon seront recyclés dans la même année.

Plus qu’un simple cap, la mode dicte la dernière tendance : les services de location et de revente continuent d’exploser. Ultime signe de leur succès, ils sont désormais érigés en modèles par les marques et grands magasins.

“To explain this, they mention a term describing a new consumption attitude which has been circulating in recent months and originates from Sweden, where it is called ‘köpsgkam’, meaning shopping shame.” [CNBC, Septembre 2020]

La location agit comme un vecteur de notoriété. Une utilisation optimale des collections anciennes et/ou pièces iconiques permet non seulement d’assurer une visibilité accrue mais aussi d’asseoir une double légitimité alternative : prestige de marque — les produits anciens restent désirables — et impact écologique mesurable — les gains en matières premières et ressources énergétiques réalisés sont directement partagés avec les consommateursLa traçabilité apparaît comme la pierre angulaire du système.

Après avoir fait l’expérience d’afterwork parties dédiés à la location de pièces issues de leur vestiaire iconique aux États-Unis, Ba&sh continue l’aventure du “Dream closet” au Royaume-Uni. En outre, la marque est désormais disponible sur la plateforme locative Hurr avec un emplacement stratégique dans le grand magasin Selfridges de Oxford Street à Londres.

Hurr dans le Selfridges — crédit photo : Independent

Hurr dans le Selfridges — crédit photo : Independent


Alors que la crise du retail ne cesse de faire rage outre-Atlantique, l’incubateur vintage the Real Real a choisi Chicago pour ouvrir sa plus grande boutique américaine à date. Le marché de la seconde main affiche des perspectives de croissance insolentes — autour de 20% à l’horizon 2025 et jusque 45% pour un groupe comme Vestiaire Collective. Les secteurs concernés ne sont plus limités aux seuls accessoires, habillement ou décoration : sur le site de la communauté Vinted, les options de rachat ou de revente incluent les jouets d’occasion !

Ultime exemple, les récents développements retail de la marque danoise Ganni opèrent une synthèse entre architecture durable et pratiques renouvelées : des éléments recyclés aussi divers que des bouteilles plastique, pots de plantes et packaging anciens de nourriture sont incorporés à la décoration, elle-même uniquement sourcée en dépôt-vente. En outre, les moquettes sont issues de collections anciennes et invendues.

Vers une nouvelle chaîne de production ?

En première mondiale dans son flagship de Stockholm, le géant de la fast fashion H&M vient de lancer une machine de recyclage ‘garment-to-garment’ dont le futur repose sur son accessibilité directement en magasin. Baptisée le ‘Loop’, elle désassemble des vêtements usagés pour les assembler et créer ainsi de nouveaux produits : Rien ne se perd… Tout se transforme !

Les innovations en recyclage vont toujours plus loin ; la chaussure de sport ‘made to be remade’ par Adidas est assemblée à partir d’un matériau unique et sans colle. La basket peut être totalement désintégrée pour former une chaussure « neuve ». Le magasin se fait également le relais de leur engagement sociétal : les opérations de collecte de déchets ‘End Plastic Waste’ occupent une place de choix dans leurs flagships de Londres ou Paris…

Pour achever la transition amorcée vers un modèle d’économie dit circulaire, la mode devra relever un défi de taille : s’affranchir d’une chaîne de production encore non durable et mettre le recyclage et la réaffectation de chaque matériau utilisé (‘repurposing’) au centre du nouveau processus durable. En juin dernier, la marque Veja a choisi l’écosystème Darwin de Bordeaux pour ouvrir son laboratoire-atelier de cordonnerie axé sur la réparation et le recyclage des baskets.

Rien ne semble résister à la vague durable et son modèle fondé sur la résilience. Le mot est sur toutes les lèvres. Le financement du système n’y échappe pas. Chez Burberry, des bons obligataires ont été émis, véritables instruments monétaires “verts” qui visent à financer ou refinancer des opérations de développement durable. Ces projets nécessitent toujours plus de visibilité : il conviendrait en effet de les intégrer aux différents programmes d’éducation, de formation et de sensibilisation aux problématiques dites responsables.

Article rédigé par Jacques Guyot, expert Retail et Marie Lepin, consultante tendances de l’agence Retail Factory.

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